Gérard Dubey, professeur de sociologie à l'Institut Mines Télécom et chercheur au CETCOPRA, sera à l'honneur de cette dernière séance du cycle "Penser les vieillesses".
Ce qu'il nous dit des technologies pour l'autonomie et la santé des personnes:
"De nombreux projets technologiques proposent aujourd’hui d’améliorer le bien-être des personnes au domicile et de garantir leur autonomie. Cela est censé répondre à une demande sociale, notamment des personnes âgées qui souhaitent demeurer le plus longtemps possible chez elle. Mais dans la plupart des cas, l’habitat - l’espace intime de la personne - est pensé comme un espace clos (un désert social), contrôlé et contrôlable, à la façon d’un laboratoire. Ce déterminisme technique débouche la plupart du temps sur des solutions inadaptées voire déstabilisantes pour la personne, qui ne tiennent aucun compte de la dimension subjective et sociale de l’environnement matériel (indissociable des éléments biographiques, chaque objet constituant un support de mémoire et du sentiment d’habiter le monde).
Ingénieurs et industriels semblent avoir pris la mesure de ce phénomène et proposent des technologies qui personnalisent les services, sont simples d’usages et « transparentes » à l’usager. Mais « personnaliser » l’assistance technique au domicile comporte un certain nombre de présupposés et d’effets secondaires, la plupart du temps implicites. Rendre « invisibles » ou « naturels » les capteurs disséminés dans l’habitat (domosanté) - comme on dissimule les antennes relais de téléphonie mobile - suscite notamment de nombreuses interrogations sur le statut de ces objets connectés ainsi que sur celui de leurs usagers. Comment par exemple manipuler, jouer, détourner, réinventer, c’est-à-dire s’approprier ce qui n’existe pas à proprement parler, mais est là à la manière de l’air qu’on respire ? Les valeurs d’ambiance et de confort semblent l’emporter sur celle d’usage et même d’usager. Quid dès lors de l’autonomie des personnes pourtant mises en avant comme la finalité de ces dispositifs ? La philosophie des environnements « intelligents » ne s’inscrit-elle pas au fond dans le prolongement du processus d’infantilisation des personnes, et en priorité des personnes âgées, à la frontière entre les philosophies du care et de l’ingénierie sociale? "